Le renouvellement des pratiques artistiques – développées en parallèle aux techniques de production et de reproduction apparues depuis la fin du XIXe siècle - a frappé d'obsolescence une grande part des savoirs faire artistiques antérieurs, et l'on se trouve très démuni, simplement pour échanger de l'information à leur propos et, bien plus encore, pour en faire l'analyse.
Dans les années 1990, apparaît une pratique musicale qui consiste à enregistrer les sons et les images puis à les monter, avec pour finalité une production artistique que le compositeur Jean Piché définit comme « alliant musique et image en mouvement dans une expression sensorielle unifiée » [PICHE] et qu'à sa suite nous appelons vidéomusique. Comment faut-il comprendre cette « expression sensorielle unifiée », suivant quelles procédures peut-on analyser ce qui s'exprime de cette manière « sensorielle unifiée », et, plus précisément encore, de quelle façon et à quelles conditions pourrait-on décrire cette relation - entre ce que je vois et ce que j'entends – qui a pour résultat d'unifier cette expression sensorielle, telles sont les questions qui se posent au compositeur comme au musicologue.
Afin d'être en possibilité de proposer des réponses à ces questions, le laboratoire Musique et Informatique de Marseille (MIM) a animé un atelier de recherche de 2015 à 2018, dans une proposition à caractère épistémologique, en co-construction. J'ai ainsi été amené à élaborer un protocole expérimental, destiné à permettre à l'ensemble des personnes[1] partageant cette expérience d'échanger de façon argumentée, sourcée et contradictoire. Dans une démarche de type phénoménologique - reprenant la méthode employée par le laboratoire MIM lors de l'invention des Unités Sémiotiques Temporelles - nous avons ainsi construit durant ces trois années une pratique analytique de l'œuvre vidéomusicale telle que perçue en relation [Bakhtine] par l'audio-spectateur, relation que nous avons précisée en la disant transductive [SIMONDON]. Nous avons alors bâti une méthodologie ayant pour finalité la construction des moyens permettant l'analyse d'œuvres vidéomusicales telles que perçues par la conscience temporelle de l'audio-spectateur, préservant l'opération de transduction et permettant même de la mettre en évidence de façon à, in fine, analyser la perception de l'œuvre vidéomusicale telle que transduite de façon interdiscursive par l'audio-spectateur. Les conditions de cette expérimentation, les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus, seront explicités au moyen d'exemples.
[1] De 2015 à 2018 nous avons reçu ainsi 15 résidents. Quatre avaient fini leurs études musicales en composition électroacoustique, électronique et/ou informatique, quatre les poursuivaient en supérieur (en composition électroacoustique). Six avaient fait un cursus dans les écoles d'art, beaux-arts, arts appliqués ou arts décoratifs, un avait une maîtrise en histoire de l'art, cinq avaient une pratique à visées professionnelles de la vidéo artistique, deux une pratique de la danse. Tous sont venus nous trouver avec une problématique proche de la nôtre et un besoin de mettre en commun une expérience nouvelle, parce que liée à une pratique elle-même nouvelle, enseignée nulle part et n'ayant aucun corpus de référence. On voit la diversité des parcours...
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