La cartographie numérique dans l'enseignement des arts plastiques
Virginie Ruppin  1@  
1 : Laboratoire Education Cultures et Politiques  (ECP)
Université Lumière - Lyon II
Institut des Sciences et Pratiques d'Education et de Formation 86 rue Pasteur 69365 LYON CEDEX 07 -  France

Dans l'enseignement des arts plastiques, le travail sur la notion d'espace interroge la notion transversale de territoire, la place de l'objet carte (ses normes, son éventuel passage au statut d'objet artistique) et celle de l'outil numérique, mais aussi développe la notion centrale de participation active du « spect-acteur » (Barboza, 2007).

Il s'agit de questionner le « pouvoir des cartes » : conçue pour évoquer l'espace et le temps, cette représentation graphique déroule une histoire (Musset, 1988) dans laquelle le corps de l'Homme s'inscrit et peut envisager l'action. En mobilisant la carte comme un objet-intermédiaire permettant non seulement de communiquer entre les disciplines mais également entre acteurs, l'expérimentation conduite envisage la carte comme un objet de « braconnage culturel » (de Certeau, 1990) permettant de devenir un vecteur d'éducation démocratique : Comment les arts plastiques peuvent-ils mobiliser un outil numérique pour faire co-habiter sur cet objet graphique la pluralité des acteurs qui composent un territoire ?

Ce projet complexe permet de réfléchir conjointement, d'une part, à la question des données géographiques produites et les manières de les représenter plastiquement notamment à partir de l'outil numérique, et d'autre part, à ce qui se passe dans le développement des apprentissages quand on connecte les disciplines entre elles, quels savoirs circulent entre les professionnels des métiers de l'urbanisme et de la conception numérique, les enseignants de géographie et d'arts plastiques et les élèves qui apprennent à leur contact.

 

L'expérimentation présentée s'inscrit dans une recherche collaborative transdisciplinaire[1] et porte sur une partie de cette étude : la mobilisation d'une réflexion géographique produite par des élèves de collège dans le cadre d'une démarche prospective sur leur territoire en arts plastiques. Les élèves ont été impliqués dans un déroulé pédagogique co-construit par les différents enseignants engagés dans ce projet d'envergure Dire ma ville, la ville comme je la vois. Différentes séquences pédagogiques ont été encadrées par l'Ifé-ENS de Lyon depuis 1 an et demi en géographie, arts plastiques, espagnol, allemand et éducation musicale. Ces disciplines proposent deux logiques d'expression et de réflexion des élèves, travaillées dans le pôle disciplinaire artistique (arts plastiques et éducation musicale) et dans le pôle littérature et culture (géographie et langues) rayonnant entre autres par :

- Un travail d'état des lieux en histoire-géographie (ballade urbaine des élèves, photos du quartier prises par les élèves, entretiens d'habitants menés par des binômes d'élèves) ;

- Un travail d'explicitation des sentiments ressentis dans le quartier (des Minguettes à Vénissieux), en LV2.

- Un travail de prises sonores et de création musicale en éducation musicale.

- Un travail d'exploitation et de création plastique en arts plastiques (la représentation plastique d'un avenir souhaitable en bidimentionnalité puis avec un outil numérique de modélisation en 3 dimensions sur écran informatique). Cet outil est géolocalisé, il utilise les données d'un géoportail qui permet aux élèves d'intervenir directement sur les barres d'immeubles et les espaces architecturaux existants pour les modifier virtuellement et plastiquement, ajouter de nouveaux bâtiments, en créer, les agrandir, les déplacer, changer leur aspect extérieur (façade verre, métal, bois, brique, colorée...), ajouter des humains, des éléments végétaux...

L'outil informatique a été une aide, un levier pédagogique pour réaliser un travail sur l'échelle, la perspective, le choix des qualités physiques et plastiques des matériaux utilisés pour la construction des bâtiments en fonction de l'intention de l'élève (comme par exemple une : ville futuriste connectée, ville nature écologique, ville loisir multicolore valorisant la consommation...).

Cet outil a permis de créer différemment. En effet, la création numérique, contrairement au dessin, est plus facilement modifiable en un clic, et surtout elle est grâce à ce logiciel, géographiquement située dans le quartier des élèves qui arrivent aisément à visualiser leur collège, leur habitation, leur trajet scolaire...

 

Une méthodologie qualitative a été utilisée pour :

- L'observation de classes,

- L'analyse de production des élèves,

- Le suivi des verbalisations collectives et du travail de modélisation numérique,

- La retranscription et l'analyse de contenu d'entretiens d'élèves.

 

Nous serons à même d'approfondir comment la partie culturelle (les références artistiques) proposée aux élèves et la partie technique (maîtrise du logiciel) peuvent-elles s'articuler à la dimension du faire, de la pratique plastique, et comment les apprentissages générés par un projet de cartographie artistique participent au développement des humanités.

 

Les principaux résultats concrètement obtenus en avril 2019 et les éléments de discussion sont en lien avec nos hypothèses :

- La représentation plastique d'un imaginaire permet l'expression d'une conception sociale que l'élève n'exprime pas forcément par le langage oral ou écrit.

Le travail plastique permet de resituer la parole des élèves, leur opinion, la dimension socio-politique faisant partie du contenu des séquences menées en histoire-géographie.

Une des relations entre la subjectivité de l'élève et l'expérimentation menée peut être déterminée par la trandisciplinarité et l'interdisciplinarité de la notion de développement durable abordée en géographie et parfois réinvestie dans les productions plastiques (éoliennes, hydroliennes, transports écologiques, parois et toits végétalisés...), mais aussi par les préoccupations de loisirs (souhait de construire : un stade multisports au cœur des tours d'HLM, un musée des arts orientaux, une piscine dans le collège...) qui possèdent chacun une symbolique forte. Le carnet de suivi, de positionnement des élèves sur les sujets abordés en géographie permet aux élèves de repartir de leurs représentations et idées et de faire de lien entre les disciplines participant au projet.

- La représentation du quartier permet de prendre en compte d'autres opérateurs de l'urbain (entité d'humains et de non-humains : faune et flore) (Latour, 2015), d'éléments témoignant du réchauffement climatique, telle une anthroposcène bousculant par là les codes normés de la cartographie.

- Les possibilités de confronter les données collectées et les représentations plastiques permettent l'émergence d'un espace de discussion entre élèves habitant un même territoire, contribuant au développement de la visée démocratique du projet. Pour cela, a été organisé au printemps un vernissage de l'exposition collective des travaux plastiques des élèves dans les couloirs du collège. Des élèves de 3e ont expliqué et fait la visite à deux journalistes, à l'IA-IPR du réseau REP+ et à la principale du collège. L'exposition a permis de recueillir en outre, l'avis des parents et des autres élèves du collège, de les confronter publiquement dans plusieurs espaces de discussion notamment en classe en géographie lors de débats et de verbalisations, avec support de présentation orale en power point en vue de l'épreuve du DNB (Brevet des collèges, épreuve orale : présentation de l'EPI).

Pour passer d'habitant-élève-acteur de son territoire à une conscience sociale de l'élève aboutissant à un projet à visée démocratique (finalisé par une œuvre collective numérique artistique) ce projet transdisciplinaire complexe propose plusieurs étapes : En inscrivant les élèves en tant qu'habitants d'un quartier, ils se rendent compte de la manière dont eux-mêmes participent à la construction de ce quartier par leur pratique quotidienne (loisir, consommation, habitation, transport...). Les élèves sont amenés à enquêter sur ce quartier et par conséquent à écouter différentes façons de faire, et donc à se situer par rapport à ces différentes façons d'habiter le quartier. Ainsi, ils se rendent compte qu'ils n'ont pas tous la même représentation du quartier et que par l'idée de la prospective et des attentes des habitants, ils sont non seulement conduits à réinterroger ce qui « fait » quartier, mais aussi ils sont obligés de se confronter à différents discours sur des manières de « faire » le territoire, de « faire » la ville, pour ensuite l'imaginer, et la re-créer.

 

Références bibliographiques :

 

Latour B. (2015), Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond.

Musset A. (1988) La cartographie préhispanique au Mexique, Mappe Monde, 88/4.

Ruppin V. (2017) La création littéraire numérique comme participation active du spectateur, Apprendre en art, Revue RLMM, 6.

Safadi S. (2019) Le « quartier de La Source » à l'épreuve d'habitants – une anthropologie des processus de citoyennetés à l'épreuve de l'espace, thèse de doctorat.

Zask J. (2003) Art et démocratie, PUF.


[1] du Lieu d'éducation associé (Léa) Prospective et citoyennetés de l'ifé-ENS Lyon.



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